Devant les herbes sauvages du jardin
qui t’appellent en vain tu restes pensif
dans l’ennui de ces hiers pareils aux demains.
Ta vie : un cimetière où bougent les ifs
de tes souvenirs, banni au double exil.
Tu te souviens de l’enfance à Hamadan,
des fontaines argentées, de leur babil,
des vents de neige surgis du mont Alvand.
Rappelle-toi ta jeunesse
dans le feu de Téhéran,
des combats, de l’allégresse,
des rires des étudiants.
Tu criais contre le Chah
et tu défendais le legs
politique et le combat
du vieux lutteur Mossadegh.
L’image revient de ton premier exil
dans ce Paris où tu cherchais la lumière.
D’un geste distrait tu remues sur le gril
le morceau d’agneau comme faisait ta mère.
Avec Sartre lui-même tu militais
pour défendre les prisonniers politiques.
Une tempête d’idées tourbillonnait :
Islam, liberté dansaient avec l’éthique.
À Nadjaf près de l’Euphrate
où ton père a son tombeau
tu murmurais des sourates,
affligé, courbant le dos.
Là tu connus Khomeiny
révolté contre le Chah.
Lui aussi était banni.
Sans crainte tu l’embrassas.
C’est toi qui le reçus lorsqu’il vint en France.
Près de lui tu fus son moissonneur d’idées,
celui qui écrit les discours et qui pense
la révolution pour qui va commander.
Rappelle-toi votre retour en Iran,
votre triomphe tandis que fuit le Chah,
tes réticences lorsque les étudiants
pour les otages exigent un rachat.
Tu es élu Président
et contre les religieux
avec vigueur tu défends
de la liberté le feu.
Lorsque l’Irak entre en guerre
appuyé par l’Occident
tu rejoins les militaires,
les défenseurs de l’Iran.
Mais Khomeiny que tu croyais ton ami
donne l’ordre de t’arrêter. Tu t’échappes
et tu rejoins Paris, à nouveau soumis
à l’exil loin des tiens, évitant la frappe
des tueurs contre lesquels les policiers
protègent ta demeure et tu restes là
dans un temps arrêté, comme un prisonnier,
tandis que ton peuple manifeste là-bas,
brandissant des foulards verts
à l’appel de Moussavi.
On t’oublie dans ton hiver.
L’exil enchaîne ta vie.
Là-bas les gens chantent, meurent.
Toi tu penses et tu écris,
prisonnier de ta demeure.
L’exil efface tes cris.
Devant les herbes sauvages du jardin
qui t’appellent en vain tu restes pensif
dans l’ennui de ces hiers pareils aux demains.
Ta vie : un cimetière où bougent les ifs.
Pierre Thiollière, Garrigues, 17 mars 2023