Euphorbes dont la sève empoisonne le sang,
bush épineux sans ombre, ciel brûlant
où les jeunes pasteurs guident les bœufs bossus
qui broutent les raquettes des cactus.
Sur le sable fauve du sud
sur le sable blanc
sur le sable roux
Monja Jaona se tient debout.
Il marche dans la poussière, sur les cailloux.
Il marche entre les baobabs
il marche vers le nord.
Au long des rizières il marche encore
et dans l’ombre des forêts il marche,
pendant des journées, des semaines, il marche
et parfois, pour reposer son corps nerveux
sous le glissement furtif des makis dans la fronde touffue
appuyé contre le tronc ami de l’acajou
Monja Jaona se tient debout.
Dans l’île lointaine là-bas vers le nord-ouest
l’autorité l’appelle, impérieuse.
Parmi les ouvriers affairés, par centaines
dans les champs de manioc, les buissons de café
les arbres parfumés prodigues de cabosses
et les bambous sucrés
parmi les reins broyés
et la rosée acide des fronts, des bras sous le soleil aride
parmi les compagnons à bout
Monja Jaona se tient debout.
Il s’enfuit. Dans la ville du nord
la ville qui sourit, bercée de palmes
couchée sur le rivage de la baie
un pasteur ouvre pour lui un Livre, un cœur.
Parmi les légendes qui revêtent
un habit sauvage aux longues franges antiques,
un habit de papier qui chante la bonté cruelle
d’un dieu unique et jaloux
Monja Jaona se tient debout.
Bientôt il retourne dans le sud
prêchant le dieu de justice.
Il appelle
le futur royaume des humbles.
Parmi
les paysans affamés mangeurs de cactus
les femmes aux pieds usés à la recherche de l’eau
les enfants bouviers qui savent lire
seulement les étoiles et les pistes des troupeaux
parmi les enfants qui boivent à même la boue
Monja Jaona se tient debout.
En prison après la grande colère
l’Île Rouge rougie par le sang des colons
et le sang des révoltés
la Grande Île noircie par la mitraille,
violée par les hommes jetés vivants sur les villages
depuis le grondement des avions,
en prison, pleurant son peuple courbé sous le joug
Monja Jaona se tient debout.
Lorsque vient la fausse Indépendance
quand les renards soumis emplissent leur panse
avec les restes, les os jetés par les maîtres
quand le pays des rizières et des bœufs
est gouverné par le bavardage des traitres,
à la verroterie il n’offre pas son cou.
Monja Jaona se tient debout.
Parmi
les charognes des bœufs malades
et les rapaces collecteurs d’impôt
parmi
les sagaies de la colère, la rage prolétaire
et les fusils des gendarmes
parmi les cadavres laissés à la dent des chiens,
en prison parmi son peuple tenu en joue
Monja Jaona se tient debout.
Lorsque les villes à leur tour se soulèvent
les élèves, les jeunes chômeurs
déferlent, foule vive, dans les rues, sur les places
de Tananarive,
lorsque la liberté à nouveau enfle les cœurs
et que les légions étrangères reprennent la mer
le vieux lutteur à nouveau délivré des chaînes
appelle à l’unité le peuple des petits.
Au milieu des humbles qui s’éveillent
et qui veulent le pouvoir sur le poisson et sur le riz,
sur la parole, sur l’école, sur la fraternité,
dans la rumeur d’un grand pays que des volcans secouent
Monja Jaona se tient debout.
Longtemps après que son corps desséché,
amoureusement bercé de terre brune sous les dunes du sud
aura été pleuré, célébré,
retourné peut-être dans l’éclat rouge d’un linceul
il se dressera
comme les totems sculptés sur les tombeaux pierreux,
dans les cœurs généreux qu’engendrent les siècles,
gonflés d’idéal fou.
Monja Jaona se tiendra debout.
Pierre Thiollière, Garrigues, 9 octobre 2020